A vendre

Dans mon village, les gens sont sympathiques.
Ils aiment bien râler.
La mode actuelle, c’est de se plaindre parce qu’on construit trop dans le village.
Et qu’on nè plu ché soi, ma bone Dame.
Et que tout cès étrengé qui nous zenvaïsse avec leur pognon.
Et que ces à cose de sa qu’il y a plin de voiture qui écraze tout les zenfant.
Et que le vilage devient une cité dortwar.
Et que c’étais mieut avan.
Soit.
Alors je dis : « Pourquoi tant de haine ?»
Elle n’est pas jolie notre commune ? Il y fait bon vivre ?
Oui ? Ben alors. C’est normal que d’autres veulent venir y habiter. Non ?
Ah oui mé alor, bienteau on s’ra une banlieuwe de Charlerwa !
Soit !
Pour construire une maison, il faut un terrain. Et le terrain, on l’achète à qui ?
Heuuuuuuu !
Dans la majorité, pas toujours, à un habitant du cru !
Bin ouais ! Et alaur ?
Ben alors. C’est son droit, non ? Ce n’est pas toi qui vantes les joies de la « Libre entreprise » dans ton parti ?
Hein ? Y faurais intairdir de vendre à un qui nè pas d’issi !
A quel degré ? Et après combien de temps est-on d’ici ?
Heeuu les degrés ? Lôpôkompris !
Imagine que tu as acheté un terrain il y a vingt ans pour tes enfants et qu’ils sont partis vivre ailleurs. Tu peux vendre à ton cousin ?
Ah ouais ! A mon cousin robér on peu bien !
Quel degré ?
Heeeu !
C’est ton cousin germain ?
Bin non, ces Robèr. Je viens d’te l’dire, imbaissil !
Je veux dire : C’est le fils de ta tante ? De ton oncle ?
Bin non, c’est le fils du frère de la mère de mon deuziaime père.
C’est ça le degré. Donc, on peut revendre son terrain à un cousin du 9ème degré ?
Pas le dixième ?
Ouais !
Si Robert à une fille qui voudrait acheter, tu peux vendre ?
Ah ouais hein ! C’est Martène. Elle est bonne Martène.
Bon ben ok. Sache que la moitié d’humanité est plus ou moins cousine au 10ème degré avec l’autre moitié.
Ah ouais ?
En effet. Donc, ça ne marche pas !
Tu disais qu’il fallait être d’ici.
Ouais ! moi mon pére et ma mére, y zon v’nu ici en 1970.
Quel jour ?
Pourqwa ?
Admettons le 10 janvier.
Ouais.
Donc, les gens qui sont arrivés un 11 janvier 1970, ils ne sont pas d’ici ?
Heeeuu ! Ah bin si ! Mon voizin Patric, y zon v’nu en 75.
Et il est d’ici, Patrick ?
Bin ouais hein ! Y fez la Marche.
Donc, un étranger, c’est quelqu’un qui est arrivé après le 10 janvier 1970 et qui ne fait pas la Marche ?
Heeu ouais !
Et s’il est arrivé cette année et qu’il fait la Marche, il est d’ici ?
Ah bin non hein ! Faux pas xageairé.
Bon ben alors. C’est qui « quelqu’un d’ici ».
Je n’sé plu moi. Jé mal a ma téééét !
On pourrait, par exemple interdire de construire s’il reste des maisons inoccupées à vendre ?
A ouais, sa ces bien !
OK. Mais si des gens veulent construire parce qu’il n’y a que des petites maisons et qu’ils sont sept ?
Tes malâte ? Ces cor des étrangés sa !
Soit ! Imagine que ce soit ton cousin Robert, sa femme et leur 5 enfants.
Ah ouais ! bin la, il peux construir.
Et l’inverse. S’il n‘y a que des grosses maisons et qu’un couple veux s’installer ?
Y peuve ! J’ai bon ?
Soit. Mais qui va décider de la taille autorisée d’une maison par rapport à la famille qui veut s’y installer ?
Heuuuu. Le bourgmesss !
OK. Mais ça va être compliqué et ça va provoquer des conflits d’intérêt.
il est payer pour sa, non ?
On pourrait aussi acheter tous les terrains à vendre et les laisser inutilisés. Non ?
A ouais, sa ces bien !
Mais qui va payer ?
Bin, la comune da !
Avec quel argent ? Celui de tes impôts ?
Ah non, on paye assé des zimpeaux come sa !
Tu pourrais les racheter toi, ces terrains. Tu es riche !
Et sa va me raporter quoi ?
Rien, c’est pour la bonne cause.
Rien du tou !
Voila. Nous sommes dans une impasse.

Ps :
L’autre fois je voyais un primo arrivant qui se battait âprement un dimanche midi avec un agriculteur qui cultivait son champ tout proche.
Il voulait la paix dans sa toute nouvelle maison construite …. sur le terrain que le même fermier lui avait vendu l’année d’avant.
Etonnant non ?