Joli mois de Juin…
Ce matin, le temps est splendide et semble vouloir le rester. Je suis sur la Place de Nalinnes Centre, le marché est en pleine effervescence depuis des heures déjà. Il n’est que 10:00 mais la chaleur tente déjà d’assommer les badauds. Je lève la tête. Par-dessus le clocher brillant de l’église, par delà la flèche, le bleu, rien que du bleu. Un bleu si pur qu’on pourrait se croire en hiver lorsqu’il gèle, ce qui provoque une sensation étrange tant le soleil m’écrase.
Hier, j’ai dirigé mes pas vers Ham-sur-Heure en longeant la rue éponyme ; sans ombre aucune… Mes bras écarlates m’indiquent qu’aujourd’hui, je dois focaliser ma ballade au maximum sous les arbres.
Je prends donc plein sud, rue de Gourdinne vers le bois de « Baconval » que je désire aborder par l’ouest. Sur le pont qui enjambe le ruisseau du Moulin, je m’arrête et me souviens…
Il y a plus de 40 ans, lors de la grande période d’égouttage et de réfection des rues de Nalinnes, avec deux amis, nous avions décidé, au départ de la rue d’Acoz, tout au nord, d’entrez dans les égouts pas encore en fonction et dans lesquels nous tenions toujours debout. Nous avions traversé la totalité du village pour aboutir derrière la « Commune » (L’ancien Bureau Police) dans le ruisseau pour continuer notre marche sous le pont sur lequel je me trouve ce matin. Toujours les pieds dans l’eau, traverser sous la rue du Pairain, et la rue Lavalle, éviter les étangs du Moulins reprendre notre parcours jusqu’à la « cascade » qui marque la limite de « Fontenelle ». Nous avions suivi les méandres du ruisseau dans le bois du « Moulin » pour retrouver deux autres étangs (on peut y observer, de temps à autres, hérons et cormorans pour autant qu’on soit discret). Finalement, nous étions arrivés dans l’Eau-d’Heure, au lieu dit « Le Tordoir » à Cour-sur-Heure. Nous n’avions pas poussé plus loin notre escapade vers Cour-sur-Heure, Ham-sur-Heure, Jamioulx, Montigny-le-Tilleul, Mont-sur-Marchiennes et, enfin, La Sambre… A l’époque, nous étions fascinés de penser qu’un fétu de paille, soufflé par le vent dans les égouts, rue d’Acoz, allait se retrouver, tôt ou tard, suivant un trajet immuable, dont nous savions maintenant tous les pièges, tous les trous, tous les méandres, allait se retrouver disais-je, dans la Sambre à Marchiennes, dans La Meuse à Namur, puis dans la Mer , près de Rotterdam. Avant la mer, il aurait rencontré un autre fétu de paille jeté quelque part dans les Alpes. Celui-ci aurait suivi un voyage commun au notre, pour rejoindre le Rhin. Avant de voir la mer, ils se seraient télescopés, chacun fier de son origine, mais tout deux destinés au même avenir incertain.
Je quitte le pont en pensant que, maintenant que des stations d’épuration jalonnent les vallées, les fétus de pailles n’arrivent plus à destination. Cela comporte d’autres avantages.
Il est temps de profiter de cette merveilleuse journée de Juin. J’arrive rapidement sur les hauteurs de Nalinnes après avoir croisé le haut de la rue du Pairain et longé la dernière ferme avant la province de Namur. Je m’arrête encore une fois et profite du panorama grandiose représentant mon village comme s’il s’était préparé à une visite importante.
Il est 10:45, la chaleur se fait de plus en plus tenace. Je croyais profiter d’un peu de fraîcheur à 240 mètres d’altitude. Las !
Avant de prendre le petit chemin qui mène dans la forêt, à droite, je ne peux m’empêcher de contempler le clocher de la basilique de Walcourt qu’on peut apercevoir très distinctement pour peu qu’on descende d’une centaine de mètres vers Gourdinne.
Changement de décors. Des gouttelettes perlent encore sur les toiles d’araignée, témoins d’une nuit humide. La forêt, en cette période, est déjà dense. Les rayons de notre astre, pourtant patient, n’ont pas encore pu en faire disparaître les traces. Je peux dès lors apercevoir, ci et là, d’improbables diamants qui, selon ma position, s’offrent à mon regard pour disparaître aussitôt.
Au carrefour, je prends à gauche (allée Sud) et m’enfonce sur le chemin où, si je reste silencieux, je sais que je pourrai observer un écureuil, un Faon ou même, parfois, les bois d’un cerf qui sitôt m’avoir aperçu, déguerpira vers Thy-le-Château.
Une fraîcheur toute relative s’est maintenue et je peux admirer les arbres en toute quiétude. Pas un bruit. Pourtant, j’entends une source. Etrange, j’ignorais son existence. Je m’arrête et écoute la forêt me parler. Ce n’est que la très faible brise qui fait se frotter les feuilles sur les cimes les plus hautes des arbres. Je débouche finalement dans la rue Lavalle, sur la route de Thy.
Soit je m’enfonce de nouveau dans le bois vers Thy-le-Château, soit je retourne vers Nalinnes. Je prends finalement cette direction mais juste avant l’orée, je m’enfonce dans le petit chemin sur la gauche qui longe les champs situés entre la rue et les étangs du Moulin. Je vois au loin un pêcheur qui semble aux prises avec une perche solide ou une petite carpe. La distance m’empêche de bien distinguer. Ma joie est profonde comme le bleu du ciel. Une impression de bien-être m’envahit. Je revois mes 10 ans parcourant les champs, les routes et les ruisseaux, grimpant dans les arbres, pêchant dans les étangs, rentrant au bercail les jambes douloureuses, non pas de fatigue mais portant les stigmates des coups de fouet des blés et de l’orge jaunissants et, pensant déjà au lendemain qui brille, m’endormir en rêvant de choses simples.
Je rejoins maintenant la rue du Hameau en empruntant la rue de Fontenelle. Avant d’atteindre celle-ci je repense à une institutrice. J’avais la fâcheuse habitude de renverser son café lorsque, trop impatient pour voir mon travail corrigé, je me précipitais à son bureau.
En descendant vers le Centre, je passe devant la ferme « Jopart », souvenir d’un après-midi de fête à l’occasion des « Confirmations ». Je sens encore l’odeur de la paille dans la grange. Nous y avions joué longtemps.
Tiens, je vais prendre par les écoles, rue des Couturelles. Je pourrais y rester des heures durant.
Faites un jour cette démarche. Passer devant votre école communale. Les souvenirs ne mettront pas très longtemps à venir vous bercer. Par la pensée, je remercie mes instituteurs pour les moments passés à les écouter. Mme Colonval, Mme Hennaux, Mme Evrard, Mme Masy, Mme Dardenne, Mme Pector et, bien entendu, l’inénarrable Mr Hypersiel pour lequel je garde une tendresse profonde.
En descendant vers la rue du Dépôt, je pense à un vieux Monsieur qu’on saluait tous les matins qui, je crois, s’appelait Adelin. Il avait dû voir passer tout Nalinnes, voir grandir les enfants et les mêmes enfants emmener leurs progénitures bien des années plus tard. J’imagine qu’il n’est plus de ce monde. Qui sait ?
Voilà, il est maintenant presque 13:00. Je débouche sur la Place où les maraichers sont déjà presque tous partis. Je passe chez le boulanger je monte sur le Kiosque et observe une fois encore les maisons, les gens, les rues. Je me dis que j’ai de la chance…